En juin, c’était les UX Days, évènement incontournable de la scène UX francophone. Contraints à l’annulation l’an passé, les organisateurs ont mis sur pieds une édition 2021 des UX Days, 100% en ligne. Un joli challenge. Dans le thème « Futurs réinventés », on a proposé de partager nos réflexions sur un des formalismes que l’on utilise très fréquemment : les parcours utilisateur. Une façon d’alimenter les réflexions sur l’évolution de nos pratiques.
Autant vous prévenir tout de suite, ce n’est pas un guide pratique à dérouler pour créer les parcours utilisateur. Il s’agit plutôt d’une analyse de la démarche, des questions sous-jacentes, des apports et des enjeux. Une présentation co-construite avec les retours d’expérience de toute l’équipe dans des domaines très variés, depuis une petite dizaine d’années maintenant.
L’article est plus long que d’habitude vous nous en excuserez !
Edit novembre 2021 : les replays sont à disposition, retrouvez l’enregistrement de la conférence Akiani sur youtube 🚀
Cartographier l’expérience par les parcours
Pour rentrer dans le vif du sujet, prenons un exemple assez emblématique. Évidemment, toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure et fortuite coïncidence 😀
Parcours = Parties prenantes + points de contact + interactions
En 2015, un domaine skiable se lance dans un projet de transformation conséquent, qui vise à digitaliser la station et l’expérience du touriste de montagne. Parmi les chantiers structurants figure un projet d’application mobile dont la promesse est de « mettre la montagne dans votre poche ».
Dans la stratégie de déploiement du MVP de l’application, le choix est fait d’impliquer les employés des caisses des forfaits. Leur mission est simple : se faire le relai de cette nouvelle application auprès des utilisateurs. Ils sont un des points de contact stratégique du parcours skieur. L’idée semble parfaite.
Un samedi noir, comme il en existe chaque saison, le temps d’attente explose aux forfaits. La file se densifie, les gens s’impatientent. Pensant trouver une solution pour désengorger la file d’attente, un employé prend l’initiative de distribuer des cartes magnétiques vierges, à charger « directement dans l’application ». L’idée séduit immédiatement les gens et la file se vide très rapidement. Action, réaction.
Sauf qu’il y a un problème. Comme tout MVP, cette application ne fait pas tout. En particulier, il est impossible d’acheter un nouveau forfait ! Mais ça, les employés l’ignorent, car ils ne sont pas plus que ça informés sur ce que fait, ou ne fait pas cette application. On vous laisse imaginer la suite avec un bel effet boomerang.
Trois idées clés sur la modélisation des parcours utilisateur
L’exemple précédent est un cas d’école, qui permet à lui seul d’illustrer les 3 idées principales de notre propos :
1/ La modélisation des parcours est nécessaire et créer un modèle c’est faire des choix
2/ L’expérience doit être appréhendée dans son ensemble et pas seulement pour les utilisateurs finaux
3/ Le parcours est un référentiel commun et un outil d’aide à la décision pour les équipes projet
Pourquoi s’intéresser aux parcours utilisateurs en UX ?
La nécessité de la vision parcours en UX
Notre métier c’est de concevoir des produits et services qui s’articulent intelligemment avec les besoins des utilisateurs. Il nous faut prendre de la hauteur, comprendre dans quoi s’inscrit la solution que l’on conçoit. Quel autre moyen qu’un parcours (plus ou moins détaillé) pour s’inscrire dans une vue globale du service et de sa mise en œuvre ? Aucun.
Modéliser, c’est tenter de passer de la complexité d’un monde dynamique à une représentation synthétique et simplifiée qui donne une vision d’ensemble. Intercepter tous les flux, traiter tous les stimuli du monde qui nous entoure est impossible. Notre cerveau raisonne sur des modèles simplifiés du monde et pourtant il réussit à faire sens du monde.
Modéliser, c’est écraser une expérience sur une feuille, pour essayer d’en tracer un maximum de contours. Un peu dans le principe de la sérigraphie.
Cartographier l’expérience, c’est en gros, faire le choix – un peu arbitraire – d’un découpage de l’activité en séquences sur l’axe horizontal et y coller en face des éléments liés à l’expérience sur un axe vertical. En fonction de ce que l’on étudie et de la finalité de la démarche, les lignes vont évoluer, avec en général les besoins et les points bloquants qui sont mis en regard d’opportunités. Bref, c’est un tableau.
Un modèle basique vaut mieux que pas de modèle du tout
Et comme on l’avait abordé dans un article précédent, il y a le besoin et la représentation du besoin. Créer un modèle, c’est déformer le réel, et ce n’est pas grave. Le modèle n’est pas là pour être parfait, il n’est pas exhaustif non plus, ni même totalement juste. Certaines choses sont accentuées, d’autres sont minimisées. On y intègre forcément les éléments que l’on veut y faire apparaître, comme le lecteur y verra ce qu’il veut en voir ou ce qui fait sens pour lui. Il faut l’assumer, l’accepter, c’est le processus qui veut cela : modéliser c’est choisir et choisir c’est renoncer.
L’autre élément très intéressant lié à la notion de modèle c’est son côté systématique. Une des premières étapes consiste à recenser les parties prenantes. Logiquement, on s’intéressera à celles qui contribuent d’une manière ou d’une autre à l’expérience que va vivre mon utilisateur. Rien que cet exercice vous permettra d’identifier des axes de travail et des échanges à avoir avec les acteurs direct ou indirect qui participent à la satisfaction, ou l’insatisfaction de vos utilisateurs.
Les questions à se poser pour mettre à plat les parcours utilisateur
S’il ne fallait retenir qu’une seule chose, ce serait le fait que mettre à plat les parcours est une démarche complexe. Les quelques points qui suivent illustrent l’exigence de la démarche.
Représenter les parcours utilisateur
On l’a dit, modéliser l’expérience, c’est tenter de rendre compte de la complexité du monde sur une feuille de papier. Cette limitation d’un espace à deux dimensions oblige à faire des choix. Par exemple, on ne peut pas représenter à la fois l’espace et le temps dans les parcours. Le choix de l’un se fait au détriment de l’autre.
Spontanément, on pense évidemment au lien entre les personas et les parcours utilisateurs. Être spécifique permet de dégager plus d’opportunités que si on était resté au niveau très générique. On a la possibilité de replacer les détails d’une typologie sur un même parcours. Cela permet d’amener un niveau de détail plus fin, qui va aussi aider à l’appropriation du livrable par les équipes projet.
Sans parler des parcours croisés, qui mêlent l’usage du numérique dans le monde physique et tangible par exemple. Les modéliser permet d’appréhender les questions de rupture expérientielle. Là encore, ajouter une dimension va complexifier la lecture du modèle.
Focale, référentiels et parcours utilisateur
Modéliser le parcours c’est aussi faire un choix sur la focale, pour proposer une représentation unifiée d’une portion du monde dont on veut synthétiser les composantes importantes. On doit borner le parcours dans le temps, puisqu’il n’est pas possible d’être parfaitement exhaustif. Déterminer jusqu’où remonter en amont et jusqu’où aller en aval fait aussi partie intégrante de l’exercice. Le niveau de détail est souvent homogène au sein d’une cartographie d’expérience, pour en faciliter la lisibilité. Or on se rend compte que certains temps méritent d’être plus détaillés. Il peut être intéressant de panacher les formalismes de représentation de l’expérience (ex. storyboard, flux de déplacement) pour garder cette possibilité de zoom avant / zoom arrière.
Enfin, on passe en permanence d’un parcours à un autre en utilisant des produits et services tous les jours.
Parfois tout est bien balisé, et parfois c’est franchement le désert. Les modèles mentaux des utilisateurs sont emprunts des parcours auxquels ils sont confrontés. La standardisation par les usages s’opère notamment par les types de parcours que nous traversons. Cela justifie pleinement de l’importance du benchmark et le fait de ne pas se limiter à la concurrence directe. Attention cependant à l’effet contre-productif, avec le risque de tout lisser en répliquant les mêmes parcours à l’infini. Il faut connaitre les référentiels, mais pas copier les références !
Appréhender l’expérience sur l’intégralité du parcours utilisateur
L’expérience map telle qu’on la connait depuis le travail d’Adaptive Path pour Rail Europe compte parmi les formalismes qui font globalement référence en matière de modélisation de parcours. On l’a d’ailleurs beaucoup pratiqué, mais de moins en moins depuis quelque temps. Elle donne une forme de mise à plat nécessaire, mais pas suffisante. On peut même dire que ce n’est pas le bon candidat pour représenter la globalité de l’expérience. Elle se limite aux points de contact en front avec les utilisateurs finaux. Le format est incomplet dans la mesure où il sous représente les utilisateurs internes qui font le système, au profit exclusif de ceux qui l’utilisent.
L’utilisateur final est roi
Pas tout à fait ! On travaille majoritairement dans du service. On intervient donc sur un système sociotechnique (relation humain – machine – humain). Et la démarche doit impliquer les utilisateurs des deux côtés de la machine. Historiquement, les démarches centrées utilisateur ont émergé dans des systèmes hautement techniques (ex. poste de pilotage en aéronautique, poste de supervision en centrale nucléaire). Dans ce type de contexte d’interaction humain – machine, adopter une démarche « puriste » centrée exclusivement sur l’utilisateur final se défend parfaitement.
Les démarches centrées utilisateur ne sont-elles pas en train de s’auto caricaturer ? 🤔
A force de répéter que le système doit s’adapter à l’utilisateur final, le message s’est un peu déformé. Il n’a jamais été question de se limiter à l’utilisateur final. Ainsi, on oublie que dans tout système à dimension sociale, il y a des utilisateurs internes ou intermédiaires, qui vont contribuer à délivrer le service. Eux aussi font partie intégrante de l’expérience. On est passé d’une vision techno centrée à une vision centrée utilisateur final, parfois absolutiste et dénuée de sens.
Le non sens de la FUX*
*Final User Experience. Oui, après tout c’est bien à la mode de créer de nouvelles expressions dans notre domaine.
À titre d’exemple, nous sommes intervenus sur un projet de gestion des demandes RH au sein d’une collectivité. Des soucis de satisfaction des employés conduisent l’équipe RH à lancer une démarche UX. Leur réflexe ? Aller à la rencontre des employés pour mieux cerner leurs besoins. Très bien. Mais les besoins des personnels du service RH pour mener à bien leur mission, qui s’en préoccupe ? Personne. Et cet exemple issu du monde institutionnel est loin d’être une exception.
Penser que l’on va pouvoir faire évoluer la partie visible de l’expérience sans une connaissance fine, une vision claire de ce qui se passe en coulisse est une utopie. Une modification sur le front impactera le back, et vice versa. Ce sont les deux faces d’une même pièce et c’est cet ensemble qu’il faut décortiquer et modéliser.
« Ah oui mais ça c’est pas nous, c’est… »
L’autre élément qui semble primordial, c’est l’importance de remonter la chaine de valeur et impliquer les acteurs qui contribuent de façon plus ou moins directe à l’expérience qui nous intéresse. On parle des niveaux stratégique, tactique, mais aussi opérationnel du système. C’est ce que nous avons eu l’occasion de faire pour la modélisation du parcours du jour d’arrivée en station de ski.
Le projet, porté par l’Office de tourisme, a réuni autant des acteurs station que les partenaires de services privés et publics. L’objectif ? Ouvrir sur la largeur ! Le résultat ? Une vue d’ensemble, qui permet de :
- questionner l’interopérabilité au sens large,
- favoriser la connaissance mutuelle,
- déconstruire certaines croyances,
- expliciter des procédures implicites,
- identifier de dépendances,
- des points de dé-synchronisation,
- des points de synergies, etc.
En menant ce travail avec tous ces regards croisés, nous avons eu la possibilité d’identifier une large partie des composantes du système. Les opportunités identifiées concernent différents leviers : Humain, Numérique, Tangible, Infrastructure et Organisationnel. C’est le principe d’une approche systémique et englobante, menée à travers le prisme du parcours utilisateur.
Le parcours utilisateur = le référentiel commun !
Pour les utilisateurs internes au système, on part de la somme des individualités pour arriver à un résultat qui se concentre sur tous les éléments clés qui supportent l’expérience. Partager un niveau de connaissance homogène des données d’exploration et faire participer activement au processus de modélisation est une des clés de la démarche. Il s’agit de partager les choix, les compromis, ce qui figure et ce qui ne figure pas dans la modélisation, etc. Le travail ne s’arrête pas à la remise d’un joli livrable. Suivre l’appropriation, aider à la prise en main et à la mise à jour du modèle produit est très important.
Modéliser le parcours, c’est créer un langage commun qui rassemble les parties prenantes et qui soit au niveau de l’expérience vécue par l’utilisateur. C’est définir une grammaire qui permet de construire du commun. Et pour les organisations en silo avec lesquelles nous travaillons, cela prend tout son sens.
Passer à l’action grâce à la vision parcours utilisateur
La formalisation des parcours donne une vue d’ensemble des composants avec les interactions, permet de lever le nez du guidon et d’identifier des jeux de dépendance, mais aussi des opportunités communes. La vision parcours permet d’adopter une approche globale et concertée plus efficace. Par exemple, la démarche menée avec le Paléo Festival de Nyon autour du parcours festivalier est très intéressante.
Les secteurs chargés de l’accueil et de la sécurité travaillent de concert à la mise en condition progressive des festivaliers au fil de l’avancée sur leur parcours. L’objectif est simple : assurer le bon niveau d’information au bon moment. Sans entrer dans les détails, ce type de démarche conjointe est rendue possible par la représentation commune des besoins, une optimisation des points de contact et de la « bande passante » du festivalier.
Enfin, le parcours utilisateur permet d’anticiper l’état futur du monde (rien que ça!). C’est un outil qui va supporter la conscience de la situation partagée de l’ensemble des parties prenantes. Chacun doit y retrouver les éléments qui lui permettent de reconstruire une représentation du système et des situations d’intérêt. Il constitue un outil de mesure d’impact avant d’appliquer des décisions. Il permet de pré-évaluer l’impact d’une modification, qu’elle soit dans l’organisation, dans la partie front du parcours, ou les deux. Modéliser les parcours, c’est se donner les moyens de prioriser, arbitrer, planifier et déployer votre stratégie de façon éclairée.
Et sinon, on peut voir à quoi ressemble un parcours utilisateur ?
On n’a pas de réponse universelle ou absolue, mais on peut vous montrer ce que l’on a testé depuis plusieurs mois. S’agissant de livrables client, nous ne pouvons pas donner le détail du contenu, mais on peut vous parler de la structure :
Sur l’axe vertical, on positionne des couches d’usagers du système (tous, pas seulement les utilisateurs finaux), comme un service blueprint. Sur l’axe horizontal, on proposer une décomposition en phase, comme une expérience map. Au milieu de tout cela, on place un modèle de l’activité, dont la forme peut varier en fonction des sujets. On s’est vraiment inspiré de ce qui se fait en la matière (modèle de flux, diagramme d’activité, médiation des activités, etc.).
C’est une hybridation pas forcément voulue, mais qui s’est imposée par les enjeux de vue d’ensemble et de cartographie globale de nos clients. Nous avons eu l’occasion de tester ce type de formalisme dans plusieurs domaines (ex. pour une PME en vue de proposer une nouvelle offre, pour un portail de la vie associative d’une métropole ou encore pour le conservatoire sur un projet de plateforme numérique à destination du grand public, des étudiants, professeurs, personnels administratifs et partenaires). Ce formalisme n’est surement pas parfait, comme tout modèle. C’est une heuristique, en ce sens qu’il a démontré une bonne capacité à embarquer les équipes lorsque nous l’avons mis en oeuvre.
A emporter
Au-delà des idées principales présentées ci-dessus, on peut résumer très schématiquement :
1/ Modéliser les parcours rend les projets UX plus cohérent.
Vraiment. Sans quoi on s’engouffre dans de la résolution de problèmes microscopiques. Évidemment, l’UX ne se limite pas à la production de wireframes. Il nous faut prendre de la hauteur et porter une vue d’ensemble pour penser les produits et services comme un tout cohérent.
2/ Il faut désacraliser la parole de l’utilisateur final
Le niveau de notoriété des démarches centrées utilisateurs est avancé. C’est bien. L’appropriation et la mise en œuvre sont quant à elles parfois insensées tant elle sont exclusivement tournées vers l’utilisateur final, au détriment de toutes les autres composantes du système, dont les utilisateurs internes.
3/ Côté client, la démarche compte autant (voire plus) que le livrable.
Modéliser les parcours permet d’anticiper la partie organisationnelle en traitant la question fonctionnelle.
Les parcours apportent une vision synthétique des choses pour que chacun soit en mesure de reconstruire sa propre représentation et de relier ses problématiques à celles du groupe. Tout cela permet de prioriser les optimisations en connaissance de cause
4/ De nouveaux livrables sont à inventer !
Arrêtons de ronronner et de nous congratuler entre nous avec nos experience maps, nos personas et nos wireframes. Faisons évoluer nos pratiques, expérimentons et partageons.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur les parcours utilisateur en UX et design de service. Si vous souhaitez en discuter avec nous ou vous lancer dans une démarche de ce type, nous serons ravis d’échanger avec vous.