L’influence de l’odeur des croissants chauds sur les voitures autonomes
Sami Lini 3 novembre 2015

L’actualité en cette fin d’année fait la part belle aux voitures autonomes, le salon des Transports Intelligents. Ce dernier s’est déroulé récemment à Bordeaux les ayant remis sous les feux des projecteurs. Vous avez ainsi sans doute entendu parler de la C4 de PSA qui est descendue toute seule de Paris à Bordeaux. Toute seule, ou presque, puisqu’un conducteur était tout de même derrière le volant pour récupérer la situation si besoin était.

Voiture autonome : une main d'humain donnant des clés de voiture à une main robotisée

C’est justement cette question qui nous intéresse aujourd’hui : celle de la prise de décision d’une voiture autonome quand des vies humaines sont en jeu. En aéronautique, en cas d’alarme critique, les automatismes sont relevés et l’autorité est rendue aux pilotes. C’est ainsi que plusieurs accidents tragiques ont vu les pilotes mener leur aéronef vers une fin certaine. Dans le seul but d’éviter des zones pavillonnaires.

Dans le cas de l’automobile, la situation n’est pourtant pas aussi simple. Effectivement, les constantes de temps en cas d’accidents potentiels ne sont pas les mêmes. Il est illusoire d’espérer rendre l’autorité au conducteur pour le laisser comprendre la situation et prendre une décision en une fraction de seconde. Se pose alors la question de laisser au véhicule l’autonomie d’une décision qui peut relever de la morale.

Le dilemme du tramway

Cette situation nous a fait repenser à une fameuse expérience de sciences cognitives conçue dans les années 1960 par la philosophe Philippa Foot : le dilemme du tramway. L’expérience est la suivante : le sujet, plongé par la pensée ou des procédés techniques, se retrouve aux commandes d’un tramway qui ne peut plus freiner. Le véhicule arrive à toute vitesse vers un groupe de 5 personnes marchant sur la voie et qui ne survivront pas à l’accident. Mais le conducteur a la possibilité de dévier le tramway sur une autre voie en appuyant sur un bouton. Sur cette voie il y a une personne seule. Il fait face à un dilemme moral. Le sujet va-t-il faire le choix conscient et volontaire de tuer une personne pour en sauver 5 ? Ou ne prendre aucune responsabilité et laisser les 5 personnes mourir ?

Vue du tramway de Bordeaux

Deux approches se confrontent alors : une approche dite utilitariste, adoptée par la large majorité des sujets (90% en général) et qui préservera le maximum de vies humaines. Dévié, le tramway se retrouve sur la voie où se tient la personne seule. Cette décision relève de ce que la philosophie appelle le conséquentialisme. Toute action se retrouve mesurable à l’aulne de ses conséquences morales.

L’autre approche est celle de ne rien faire en considérant qu’il n’est pas possible d’évaluer la valeur de la perte au nombre, que cela ne peut en conséquence relever de la responsabilité de la personne aux commandes. En revanche, cela relève de la responsabilité des concepteurs. Les conclusions doivent être tirées pour que la situation ne se reproduise jamais (et c’est alors là que nous intervenons en général !).

Voitures autonomes et décision morale

On en revient alors à la question des voitures autonomes : de quelle éthique les concepteurs doivent-ils doter leur véhicule ? Dans le cas d’un accident potentiel, la voiture devra-t-elle sauver son conducteur ou plusieurs piétons ? Jean-François Bonnefon du laboratoire CLLE du CNRS (avec lequel nous avons travaillé par le passé) en collaboration avec Iyad Rahwan de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) et Azim Shariff de l’université d’Oregon ont ainsi investigué cette question en la posant à un panel de 1000 personnes.

Il apparait que comme dans le dilemme du tramway, les personnes préféreraient sacrifier le véhicule et son conducteur aux piétons… à condition de ne pas être ce conducteur. La morale pèse peu face à l’instinct de survie ! Le véhicule serait donc amené à prendre une décision qui irait à l’encontre de la volonté de son propriétaire ? Pour explorer ces questions de façon plus approfondie, découvrez notre étude sur l’expérience conducteur et les véhicules autonomes.

L’Homme et ses biais de décision

Mais vaudrait-il vraiment mieux laisser la décision à l’Homme, lequel est le spécialiste des décisions irrationnelles ? On sait par exemple que l’odeur des croissants chauds le rend plus généreux et enclin à aider ses pairs. On sait aussi qu’en situation de stress, l’Homme subit une libération de cortisol qui inhibe sa capacité à décider rationnellement et vise à son unique survie. Nous étudions d’ailleurs régulièrement ce type de comportements humains grâce à des techniques comme l’eye-tracking.

Conclusion sur les voitures autonomes

Reste à soumettre les voitures autonomes à l’odeur de croissants chauds… La question est encore loin d’être réglée ! Pour concevoir des solutions efficaces et éthiques dans ce domaine, nous utilisons des méthodes comme le design thinking et la création de prototypes qui permettent de tester les scénarios critiques. Si le sujet de l’intelligence artificielle vous intéresse, nous vous redirigeons vers un autre article de blog.

Références

BONNEFON, Jean-François, SHARIFF, Azim, et RAHWAN, Iyad. Autonomous Vehicles Need Experimental Ethics: Are We Ready for Utilitarian Cars?. arXiv preprint arXiv:1510.03346, 2015.

R. A. Baron, « The Sweet Smell Of… Helping : Effects of Pleasant Ambient Fragrance on Prosocial Behavior in Shopping Malls », Personality and Social Psychology Bulletin, 23, 1997, p. 498-503

Sami Lini

Ingénieur-docteur en Facteurs Humains, Sami a d'abord travaillé dans le domaine de la R&D aéronautique. Les Facteurs Organisationnels et Humains opérationnels, la neuroergonomie et la recherche utilisateur (UX) sont ses domaines de prédilection qu’il apporte à nos clients tant dans le domaine de l’industrie à risque que pour les produits grand public.