UX Days 2022 : retours sur ces 2 jours de conférences et d’ateliers – Partie 2
Alice Totaro 16 juin 2022

On continue avec la deuxième partie de notre retour d’expérience sur l’édition 2022 des UX Days. La journée de vendredi est consacrée aux conférences autour de la thématique “UX sans frontières”.

Pour lire le résumé de la première journée dédiée aux ateliers, c’est par ici.

Keynote d’ouverture : designer le monde de demain

Ce qu’on a retenu, en deux mots :

Face aux enjeux climatiques et sociétaux à venir, il faut porter une réflexion tournée vers un design plus éthique. Il est nécessaire d’apporter de la frugalité dans la conception. Il faut également aborder de front ces problématiques au sein des structures et avec nos différents interlocuteurs.

Il est primordial de s’intéresser voir de se former sur la situation que nous sommes actuellement en train de vivre. Selon Jean-Marc Jancovici : “les politiques ne feront rien pour changer les choses, l’initiative doit venir des citoyens.”

Notre résumé de la conférence :

Cette journée de conférence des UX Days s’ouvre par une keynote de Jean-Marc Jancovici. Une belle opportunité de pouvoir écouter ce spécialiste des questions énergétiques et de l’impact sur le climat depuis la fin des années 90.

Jean-Marc Jancovici revient sur les principaux facteurs de perturbation physique de l’atmosphère introduits par l’homme tels que : l’utilisation du charbon, la déforestation et les émissions de méthane.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, aucune innovation technique (comme l’introduction de l’électricité) n’a contribué à réduire ces émissions et donc leur impact sur l’atmosphère.

L’atmosphère ne reviendra plus jamais à un état originaire, ni aujourd’hui ni demain.

Jean-Marc Jancovici – UX Days 2022 / Paris

Le constat est sans appel, le surplus de CO₂ que nous avons produit n’est pas rattrapable. Seule la nature pourrait absorber ce surplus et entrainer une baisse. Un processus qui prendrait des milliers d’années…

Cette amplitude temporelle est à mettre en parallèle avec l’inadéquation du temps moyen de mise en place des mesures de correction dans les entreprises, qui est de l’ordre de 3 ans.

Jean-Marc Jancovici pointe également du doigt le peu d’efficacité des COP (“Conference of the Parties”). Ces Conférences des parties des Nations unies, qui se réunissent chaque année lors d’un sommet mondial pour adopter les actions permettant de lutter contre le dérèglement climatique. Il montre en effet que la quantité de CO₂ présente dans l’atmosphère a vu une évolution linéaire et croissante depuis l’institution des COP : la preuve selon Jancovici que ces dispositifs ne sont pas suffisants pour une réelle amélioration de la situation.

Même l’Accord de Paris parait en décalage avec la réalité. Pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement climatique à -1,5°C, et de préférence à -2°C, d’ici à 2050, des scénarios irréalistes sont présentés. Il faudrait que les futures générations puissent consommer dix fois moins et émettre trois fois moins qu’aujourd’hui, ou bien qu’il y ait un évènement exceptionnel qui réduise de manière drastique ces émissions.

La réduction des émissions mondiales de carbone est la solution la plus réaliste.

Jean-Marc Jancovici souligne que les centrales charbon jouent le rôle le plus important avec 20% des émissions, suivies par l’agriculture (18%), les transports (15%), les industries (12%), la déforestation (11%), le gaz et le fioul (9%), le ciment (4%) et les bâtiments (4%). Les autres secteurs représentent le reste des émissions (environ 7%).

C’est dans cette tranche qu’on situe les émissions causées par le numérique.

Jancovici insiste sur le fait que les démarches digitales ne sont pas du tout “dématérialisées” comme on a l’habitude de les définir. Au contraire, on assiste à une matérialisation, encore plus prononcée qu’avant, avec la création d’outils numériques possédant un taux de renouvellement élevé : serveur informatique, smartphone, smart object…

Un tel constat engendre forcément une légère frustration quant au peu de solutions proposées à la fin de cet exposé. Mais c’est à nous en tant que concepteur de relever ces défis en nous tournant vers un design plus éthique, tant dans les pratiques que dans le dialogue avec nos interlocuteurs.

Pour les plus curieux, nous vous invitons à consulter la page de The Shift Project, think tank opérant en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, dont Jean-Marc Jancovici est président.

Le cerveau créatif

Ce qu’on a retenu, en deux mots :

Les enfants ne sont pas toujours ceux qui ont le niveau de créativité le plus élevé.

Il faut mettre en place des méthodes qui sortent le cerveau d’états de fixation.

Notre résumé de la conférence :

Anaëlle Camarda, chercheuse en psychologie du développement cognitif, nous parle créativité et “Think outside the box !”.

La créativité, explique Anaëlle Camarda, c’est l’habileté à générer des idées qui soient nouvelles et adaptées à la société d’aujourd’hui.

En tant qu’êtres humains, nous sommes tous amenés à résoudre des problèmes simples, en moyenne pendant trente minutes une fois par semaine. Et des problèmes complexes pendant trente minutes une fois par jour.

Cette habileté est une faculté intrinsèque à l’être humain. Il est possible d’en décrire la variation d’intensité à travers un modèle : le “Four C Model of Creativity”, variant entre un niveau bas (“mini C”) et un niveau élevé (“big C”) de créativité.

Si tout le monde est absolument concerné par le processus créatif, explique Anaëlle Camarda, la même affirmation reste valable quand on parle des points de blocage du processus. Ces fameux “effets de fixation” sont des biais qui ne permettent pas au cerveau humain d’avancer pleinement dans l’exploration de nouvelles solutions, appelées “phase d’expansion”.

Pour illustrer son propos, elle pose le problème suivant : comment faire pour qu’une bougie allumée tienne debout sur une table sans que la cire coule dessus ? Sur le visuel présenté, on peut voir la bougie, la table, mais également une boite et des punaises.

Généralement, la plupart des personnes interrogées ne prennent pas en compte les 2 derniers objets dans la résolution du problème. La solution idéale est de se servir de la boite comme support pour la bougie allumée, en la vidant préalablement de ces punaises.

L’usage initialement prévu pour la boite en question, explique Anaëlle Camarda, est de contenir les punaises et notre cerveau a du mal à en détourner l’usage initial. Il s’agit bien d’un exemple d’effet de fixation. En diminuant cet effet, le cerveau devient plus créatif.

Exemple de la bougie permettant d’illustrer l’effet de fixation – UX Days 2022

Comment activer la créativité ?

Est-ce que le fait d’avoir déjà des exemples de solutions aide ou nuit à la créativité ? Les résultats des études présentées montrent que le niveau de créativité est plus bas quand on se sert d’exemples qui impliquent des effets de fixation. Ils sont plus élevés quand on se sert d’exemples qui ne comportent pas des effets de fixation. Et le niveau est moyen si on ne se sert pas du tout d’exemple pour s’inspirer.

Quant au mythe de l’enfant qui serait toujours plus créatif que l’adulte, Anaëlle Camarda indique que ce n’est pas toujours le cas. Le niveau de créativité est en effet plus élevé chez les enfants quand ils se servent d’un exemple donné. Il est en revanche plus élevé chez les adultes lorsqu’ils opèrent sans exemple.

En tant qu’adultes, nous savons également mieux détecter les éléments d’intérêt grâce au “réseau de saillance” du cerveau. 3 réseaux sont à l’origine des processus créatifs dans le cerveau :

  • le réseau par défaut, dit aussi “main wondering”, qui raisonne constamment,
  • un réseau de saillance, qui détecte les éléments d’intérêt,
  • et enfin le réseau de contrôle, qui contrôle ce qu’il est possible d’explorer.

Pour illustrer son propos, Anaëlle Camarda pose le problème suivant :

“Proposer une solution pour faire en sorte qu’un œuf de poule lâché d’une hauteur de dix mètres ne se casse pas”.

Statistiquement les personnes interrogées proposent 2 pistes de solution :

  1. 81% des solutions prennent en compte l’utilisation d’un dispositif pour protéger l’œuf (un matelas, un parachute…) : elles impliquent des effets de fixations et sont générées à partir du système automatique intuitif du cerveau.
  2. Les 19% restant sont constitué de solutions ne proposant pas de dispositif. Pour les générer, le cerveau utilise le système analytique, plus couteux que le premier, mais ayant un niveau de créativité plus élevé.

Faut-il tout miser sur la méthode de brainstorming ? Les résultats montrent que cette méthode, qui est censée réduire les effets sociaux du groupe au sein duquel elle est utilisée, n’est pas efficace au niveau collectif. La présence de leaders dans le groupe impliquera toujours des effets de fixation.

Pour stimuler la créativité, il faudra donc introduire des moments de génération individuelle et utiliser les méthodes KCP pour bénéficier de l’apport des connaissances dans la génération d’idées.

De quelle manière arrivent et se développent les idées (pour un designer) ?

Ce qu’on a retenu, en deux mots :

Une chouette présentation des travaux d’Étienne Mineur, designer, éditeur et enseignant français, exclusivement centrés sur l’expérimentation, le bricolage, l’alliance du physique avec le numérique.

Une conférence à prendre pour ce qu’elle est : une belle opportunité de s’émerveiller devant la richesse des projets présentés et de voir les processus de création de cette personnalité à l’imagination débordante (avec une pointe d’humour bienvenue). On en ressort des étoiles plein les yeux tout en ayant conscience qu’il est difficile de reproduire ces processus de création dans notre travail quotidien.

Notre résumé de la conférence :

De quelle manière arrivent et se développent les idées (pour un designer) ?

Étienne Mineur répond à cette question en invitant le public à découvrir ses axes de réflexions et ses pratiques à travers différents projets. Le tout basé sur l’expérimentation, le bricolage, l’alliance du physique et du numérique.

En guise d’introduction, il évoque le travail de Gunpei Yokoi, designer chez Nintendo et créateur du célèbre Game Boy. C’est en observant les passagers d’un train jouer avec leur calculatrice, qu’il a l’idée de créer un jeu électronique de poche destiné aux adultes, facile à utiliser et à transporter. La Game and Watch, ancêtre du Game Boy, était née.

Observer le monde qui nous entoure, détourner les usages et se questionner en continu pour développer des idées créatives.

À partir de ce constat, Étienne Mineur présente une succession de projets sur lesquels il a travaillé seul ou en équipe : que ce soit des sites internet à l’esthétisme travaillé, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le processus créatif ou la conception de jeux numériques sur tablette ou au format papier…

On en ressort des étoiles dans les yeux et une question : comment reproduire tels mécanismes dans la réalité de notre travail quotidien ? La réponse n’est pas donnée, mais nous retiendrons que, pour un designer, les idées n’arrivent et ne se développent pas sans capacité d’observation, questionnement et même un peu de courage.

Le triomphe du Bullshit : Une brève histoire de méthodologie !

Ce qu’on a retenu, en deux mots :

Le métier de designer se repose trop sur les méthodes, qui finissent par devenir une fin en soit et non pas un moyen. Il y a d’ailleurs trop de méthodes différentes, personne ne sait les distinguer et cela bride la créativité…

Une conférence aux allures de discussion entre collègues qui a le mérite de soulever quelques questionnements.

Notre résumé de la conférence :

C’est au tour de Laurent Chastrusse, UX designer, de nous parler de sa vision sur les frontières du monde du Design et de ses limites.

Selon Laurent Chastrusse, à la racine de la méthodologie il y a la quête de bonnes pratiques pour exercer le métier de designer à son meilleur niveau. Un parallèle est ici fait avec la parentalité : pour être un bon designer, de même que pour être un bon parent, il faut d’abord être présent et rassurant.

Ne trouvant pas plus d’indications concrètes que ça sur les processus à suivre, le designer (parent) va mener sa recherche sur les réseaux sociaux et se cramponner à des pédagogies “alternatives” mettant l’usager (enfant) au centre. Les méthodes Montessori, Freinet, Steiner… pour le parent. Les méthodologies de Design sprint, design systémique, service design, design thinking… pour le designer.

Dans le cas du Design, ces méthodes ont comme effet secondaire non désiré l’industrialisation du métier, intégrant des processus prédéfinis et employant des outils formatés. La créativité serait ainsi pénalisée. Les ateliers qui en ressortiraient ressembleraient tous à des diaporamas de benchmark sans analyse. Tout cela engendrerait une perte de crédibilité et pour y remédier, on inventerait de nouvelles méthodes vouées à regagner de la légitimité en donnant une idée de démarche scientifique au processus créatif.

Concrètement, la valeur ajoutée du métier n’est plus perçue. Le verdict de Laurent Chastrusse est définitif : les méthodes n’ont aucune garantie de succès à part celle de permettre de vendre plus facilement des prestations comme du design thinking, design sprint, etc.

Comment communiquer une solution sans créer une nouvelle méthode ? Selon Laurent Chastrusse il faudrait :

  • revenir aux bases, sans s’emprisonner dans la méthode
  • revendiquer notre besoin d’adaptation au contexte
  • arrêter de vendre des formations de deux ou trois jours dans lesquelles on met en pratique des méthodes fictives pour s’adapter aux contraintes de temps et en promettant de devenir Designer (*applaudissement du public*),
  • être curieux, nourrir son cerveau pour aller au-delà des méthodes vues et revues et des mêmes bouquins lus et relus

Finalement, nous rappelle Laurent Chastrusse, ce ne sont pas les méthodes et les outils qui font un bon designer. Nous devons tous être garants de la valeur de l’expertise que nous menons.

Être designer aujourd’hui : éthique, posture et vision.

Ce qu’on a retenu, en deux mots :

Pour que le design soit un vrai levier de changement, il faut se fixer une éthique de travail au niveau collectif plutôt que de miser sur les initiatives individuelles.

Résumé de la conférence :

La journée de conférences de ces UX Days s’achève avec l’intervention de Mellie La Roque, Service Designer chez SNCF Connect&Tech et co-chair Designers Ethiques. L’introduction reprend les concepts de mise en cause du modèle consumériste et des scénarios de croissance infinie que l’on a pu retrouver aussi ailleurs au cours de ces deux journées (Papanek et Meadows sont parmi les références les plus citées dans l’ensemble des rencontres), preuve tangible que ces thématiques sont prioritaires pour le futur de notre métier.

Mellie La Roque donne trois axes pour que le design puisse être un levier de changement :

  1. comprendre le changement et changer de paradigme
  2. développer une posture éthique
  3. réorienter notre pratique

Axe 1 : comprendre le changement et changer de paradigme

Trois postures doivent orienter ce changement de paradigme :

  • passer de “l’anthropocentrisme” à “l’écocentrisme”, qui se base sur le principe d’interconnexion entre êtres humains et nature
  • basculer des indicateurs de croissance (PIB) à des indicateurs de bien-être
  • passer de l’hypertechnologie à la technologie raisonnée, qui prend en compte l’impact social et économique (l’exemple donné est le “fairphone”, qui assume tout le cycle de vie de l’outil)

Mellie La Roque cite ensuite ses trois façons de s’approprier ce changement dans son quotidien professionnel :

  • l’étude des forces de changement vers la sobriété numérique et de leur impact en 2030-2050
  • l’ouverture vers des expertises variées
  • la co-construction d’une vision à long terme, en imaginant des scénarios à 2030, pour orienter les choix de produit dès à présent

Axe 2 : développer une posture éthique

La Roque désigne l’éthique comme l’action de notre conscience profonde pour agir sans nuire à ce qui nous entoure. La définition d’un cadre éthique dans la conception repose sur quatre principes :

  • l’utilité : la conception représente une réponse à des besoins réels
  • la durabilité : la conception a un minimum d’impact et participe aux logiques de régénération
  • l’universalité : la conception est appropriable par tout le monde (notion d’accessibilité)
  • l’autonomie : la conception respecte la liberté des utilisateurs

En se basant sur ces quatre principes, il est possible pour Mellie La Roque de faire ses choix de conception de manière plus consciente, en acceptant ou en refusant de travailler sur un projet, ou en réorientant les démarches dans le meilleur sens possible.

Dans le quotidien professionnel, les actions pour aligner la pratique à ces principes sont les suivantes :

  • conduire le changement avec les équipes techniques
  • rédiger des guidelines qui permettent d’aller dans un sens plus vertueux (notion de sobriété numérique)
  • rendre opérationnelles ces guidelines (par exemple : mesurer la sobriété du service)

Axe 3 : réorienter notre pratique

En réorientant nos compétences avec par exemple :

  • prendre pleinement connaissance de l’évolution du climat
  • chercher dans l’histoire pour comprendre les raisons de ces évolutions
  • adopter une approche interdisciplinaire, qui amène à travailler avec des profils variés
  • développer une pensée critique en proposant des trajectoires alternatives
  • développer des compétences techniques comme l’écoconception numérique

Mellie La Roque explique comment ces compétences ont été développées dans son cadre de travail :

  • effectuer un état des lieux et un audit sur l’impact environnemental (Exemple : la solution Greenspector)
  • sensibiliser et former les product designers à l’écoconception numérique

La considération finale nous invite à réfléchir sur le fait que l’éthique ne se limite pas à une réflexion de profession, elle est aussi une réflexion de génération.

Conclusion

Les thématiques abordées au cours de cette deuxième journée des UX Days, alimentent des débats et des réflexions initiées au sein de notre équipe et, quand cela se passe, c’est toujours bon signe.

Un grand merci donc à tous les intervenants ayant mené cette deuxième journée de conférences, ainsi qu’aux équipes de Flupa.

À l’année prochaine pour une nouvelle édition des UX Days 🙌

🎥 Pour voir les vidéos des conférences c’est juste ici

Alice Totaro

Issue d'une formation professionnelle en UX design au Digital Campus et diplômée d'un master au Politecnico de Milan, Alice a travaillé dans des agences d'architecture en France et à l'étranger avant d'évoluer dans le domaine du design d'expérience utilisateur. Ses trois ingrédients pour bien développer un projet ? Être créative, être attentive à l'humain et bien savoir communiquer ses idées.